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que des projets incertains, des convictions hésitantes et des velléités d’ambition, il avait seul une ambition réfléchie et un dessein arrêté. On ne l’abordait pas sans subir l’ascendant de cette volonté puissante et tranquille, qui avait la pleine vue de ses projets, la conscience de ses forces et la certitude de la victoire. Cicéron le subit comme les autres malgré ses préventions. En présence de tant de suite et de fermeté, il ne put s’empêcher de faire des comparaisons fâcheuses avec le trouble et l’inconsistance de son ancien ami. Je suis de votre avis sur Pompée, écrivait-il à demi-mot à son frère, ou plutôt vous êtes du mien, car voilà longtemps que je ne cesse de chanter César[1]. C’est qu’en effet il suffisait d’approcher un véritable homme de génie pour reconnaître tout ce qu’il y avait de vide dans cette apparence de grand homme que des succès faciles et un air de majesté bouffie avaient imposé si longtemps à l’admiration des sots.

Il ne faudrait pas croire cependant que César fût un de ces opiniâtres qui s’obstinent contre les événements et ne consentent jamais à rien changer aux plans qu’ils ont une fois conçus. Personne au contraire ne savait mieux que lui se plier aux nécessités. Son but restait le même, mais il n’hésitait pas, quand il le fallait, à prendre les moyens les plus différents pour l’atteindre. Précisément à l’époque qui nous occupe, une de ces modifications importantes eut lieu dans sa politique. M. Mommsen a fort bien établi que ce qui distingue César des hommes qu’on lui compare d’ordinaire, Alexandre et Napoléon, c’est qu’à l’origine il était plus un homme d’État qu’un général. Il n’est pas sorti des camps comme eux, et il n’avait fait encore que les traverser lorsque, par occasion et presque malgré lui, il est devenu un conquérant.

  1. Ad Quint., II, 13.