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qu’elle souhaitait toujours autre chose ; on le voyait sans qu’il le dît, car il cherchait assez gauchement à le cacher. C’était sa tactique ordinaire de faire le dégoûté, et il voulait qu’on le forçât à accepter ce qu’il souhaitait le plus obtenir. On comprend que cette comédie trop répétée ne trompait plus personne. En somme, comme il a successivement attaqué et défendu tous les partis, et qu’après avoir paru souvent désirer une autorité presque royale, il n’a pas essayé de détruire la république quand il en avait le pouvoir, il nous est impossible de savoir aujourd’hui quels projets il avait conçus, ou même s’il avait conçu quelque projet.

Il n’en est pas ainsi de César. Celui-là se rendait compte au moins de son ambition, et il savait nettement ce qu’il voulait faire. Ses projets étaient arrêtés avant même qu’il fût entré dans la vie publique[1] ; il avait formé dans sa jeunesse le dessein de se faire le maître. Le spectacle des révolutions auxquelles il assistait lui en avait fait naître la pensée, le sentiment qu’il avait de sa valeur et de la médiocrité de ses ennemis lui donna la force de l’entreprendre, et une sorte de croyance superstitieuse en sa destinée, assez ordinaire chez les gens qui tentent ces grandes aventurés, l’assurait d’avance du succès. Aussi marchait-il résolument vers son but, sans témoigner pour l’atteindre une ardeur précipitée, mais sans le perdre jamais de vue. Bien savoir ce qu’on veut n’est pas une qualité commune, surtout à ces époques troublées où le bien et le mal se mêlent, et pourtant le triomphe n’appartient qu’à ceux qui la possèdent. Ce qui fit surtout la supériorité de César, c’est qu’au milieu de ces politiques irrésolus qui n’avaient

  1. C’est du moins l’opinion de tous les historiens de l’antiquité. On lit dans un fragment de lettre de Cicéron à Q. Axius cité par Suétone (César, 9) : Cæsar in consulatu confirmavit regnum de quo ædilis cogitaret.