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de ses puissants protecteurs, tendre la main à des gens qu’il regardait comme ses plus grands ennemis. Pour un homme qui avait les haines si violentes, ce n’était pas un petit sacrifice ; mais du moment qu’il entrait si résolument dans leur parti, il fallait bien qu’il acceptât leurs amitiés comme il défendait leurs desseins. On commença pour le réconcilier avec Crassus. Ce fut une grande affaire, et qui ne s’acheva pas en un jour, car lorsqu’on croyait leur vieille inimitié apaisée, elle se ranima tout d’un coup dans une discussion du sénat, et Cicéron maltraita son nouvel allié avec une violence qui le surprit lui-même. « Je croyais ma haine épuisée, disait-il naïvement, et je ne pensais pas qu’il m’en restât dans le cœur[1]. » On lui demanda ensuite de prendre la défense de Vatinius ; il y consentit d’assez bonne grâce, quoiqu’il eût prononcé contre lui l’année précédente une invective furieuse. Les avocats à Rome étaient assez accoutumés à ces brusques revirements, et Cicéron en avait donné déjà plus d’un exemple. Lorsque Gabinius revint d’Égypte, après avoir rétabli le roi Ptolémée contre l’ordre formel du sénat, Cicéron, qui ne pouvait pas le souffrir, trouvant l’occasion bonne pour le perdre, se préparait à l’attaquer ; mais Pompée vint le prier instamment de le défendre. Il n’osa pas résister, changea de rôle, et se résigna à parler pour un homme qu’il détestait, dans une cause qu’il jugeait mauvaise. Il eut au moins la consolation de perdre son procès, et quoique en toute occasion il tînt beaucoup au succès, il est probable que cet échec ne lui causa pas de peine.

Mais il comprenait bien que tant de complaisance et de soumission, et tous ces démentis éclatants qu’il était forcé de se donner à lui-même, finiraient par soulever contre lui l’opinion publique. Aussi s’avisa-t-il d’écrire

  1. Ad fam., I, 9.