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avait contre son habitude rendu prudent ; c’est le parti qu’il était lui-même tenté de prendre toutes les fois qu’il venait de courir quelque danger nouveau. Cependant il éprouvait quelque peine à se décider. Les triumvirs avaient été jusque-là ses ennemis les plus cruels

Sans parler de Crassus, dans lequel il détestait un complice de Catilina, il savait bien que c’était César qui avait lâché Clodius contre lui, et il ne pouvait pas oublier que Pompée, qui avait juré de le défendre, l’avait lâchement abandonné à la vengeance de ses deux, amis ; mais il n’avait pas le choix des alliances, et puisqu’il n’osait plus se fier au parti aristocratique, il était bien forcé de se mettre sous la protection des autres. Il lui fallut donc se résigner. Il autorisa son frère à s’engager pour lui auprès de César et de Pompée, et se mit en mesure de servir leur ambition. Son premier acte, après son retour, avait été de demander pour Pompée un de ces pouvoirs extraordinaires dont il était si avide : il lui avait fait confier pour six ans le soin de pourvoir à la subsistance de Rome, et à cette occasion on l’avait revêtu d’une autorité presque sans limites. Peu de temps après, quoique le trésor public fût épuisé, il fit accorder une somme d’argent à César pour payer ses légions et la permission d’avoir dix lieutenants sous ses ordres. Lorsque l’aristocratie, qui comprenait dans quel dessein il faisait la conquête des Gaules, voulut l’empêcher de la poursuivre, ce fut encore Cicéron qui demanda et, qui obtint qu’on lui laissât achever son œuvre. C’est ainsi que l’ancien ennemi des triumvirs devint leur défenseur ordinaire devant le sénat. L’appui qu’il consentit à leur donner ne leur fut pas inutile. Son grand nom et sa parole éloquente attiraient à lui les modérés de tous les partis, ceux dont l’opinion était chancelante et les convictions indécises, ceux surtout qui, fatigués d’une liberté trop orageuse, cherchaient partout une main ferme qui