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cours suivis, tantôt dans des interpellations fougueuses, employant tour à tour contre lui les plus grosses armes de la rhétorique et les traits les plus légers de la raillerie. Il est plus vif encore quand il décrit les assemblées populaires et raconte les scandales des élections. « Suivez-moi au champ de Mars, dit-il, la brigue est en feu, sequere me in Campum ; ardet ambitus[1]. » Et il nous montre les candidats aux prises, la bourse à la main, ou les juges qui, sur le forum, se vendent honteusement à qui les paye, judices quos fames magis quam fama commovit.

Comme il a l’habitude de céder à ses impressions et de changer avec elles, le ton n’est plus le même d’une lettre à l’autre. Il n’y a rien de plus abattu que celles qu’il écrit de l’exil ; c’est un gémissement éternel. Le lendemain de son retour, sa phrase devient sans transition majestueuse et triomphante. Elle est toute pleine de ces superlatifs de complaisance qu’il distribuait si libéralement alors à tous ceux qui l’avaient servi, fortissimus, prudentissimus, exoptatissimus, etc., il y célèbre en termes magnifiques les marques d’estime que lui donnent les honnêtes gens, l’autorité dont il jouit dans la curie, le crédit qu’il a si glorieusement reconquis au forum, splendorem ilium forensem, et in senatu auctoritatem et apud viros bonos gratiam[2]. Quoiqu’il ne s’adresse qu’au fidèle Atticus, on croit entendre un écho des harangues solennelles qu’il vient de prononcer au sénat et devant le peuple. Quelquefois il lui arrive, au milieu des situations les plus graves, de sourire et de plaisanter avec un ami qui l’égaye. C’est au plus fort de sa lutte contre Antoine, qu’il écrit à Papirius Pœtus cette lettre charmante où il l’engage d’une façon si amusante à fréquenter de nouveau les

  1. Ad Att., IV, 15.
  2. Ad Att., IV, 1.