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vantés s’empressaient de fuir[1]. Au forum, on le comprend, c’était bien pis encore. Cicéron rapporte que, quand on était fatigué de s’insulter, on se crachait au visage[2]. Il fallait prendre d’assaut la tribune lorsqu’on voulait parler au peuple, et on risquait sa vie pour essayer de s’y maintenir. Les tribuns avaient trouvé une nouvelle manière d’obtenir l’unanimité des suffrages pour les lois qu’ils proposaient : c’était de faire battre et de chasser tous ceux qui s’avisaient de n’être pas de leur opinion. Mais nulle part les luttes n’étaient plut ardentes qu’au champ de Mars les jours d’élection. On en était réduit à regretter l’époque où l’on trafiquait publiquement de la voix des électeurs. En ce moment, on ne se donnait même plus la peine d’acheter les dignités publiques : on trouvait plus commode de les prendre de force. Chaque parti se rendait avant le jour au champ de Mars. Des rencontres avaient lieu dans les chemins qui y conduisaient. On se pressait d’y arriver avant ses adversaires, ou, s’ils y étaient déjà établis, on les attaquait pour les déloger : naturellement les dignités appartenaient à ceux qui restaient maîtres de la place. Au milieu de toutes ces bandes armées, il n’y avait de sécurité pour personne. On était réduit à se fortifier dans sa maison de peur d’y être surpris. On ne pouvait plus sortir qu’avec un cortège de gladiateurs et d’esclaves. Pour aller d’un quartier à l’autre on prenait autant de précautions que si l’on avait eu à traverser une contrée déserte, et l’on se rencontrait au détour d’une rue avec la même frayeur qu’on aurait eue au coin d’un bois. Au milieu de Rome, il y avait des batailles véritables et des sièges en règle. C’était une manœuvre ordinaire que de mettre le feu à la maison de ses ennemis, au risque d’incendier tout un quartier, et vers la fin il ne se pas-

  1. Ad Quint., II, 1.
  2. Ad Quint., II, 3.