Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cicéron ; il lui a manqué, pour l’être, d’avoir une croyance et de se dévouer à la servir. L’instabilité de ses sentiments, les inconséquences de sa conduite, cette sorte de scepticisme qu’il affectait pour toutes les opinions, n’ont pas moins nui à son talent qu’à son caractère. S’il avait su mettre plus d’unité dans sa vie, s’il s’était attaché de bonne heure à quelque parti honnête, ses qualités, trouvant un emploi digne d’elles, auraient atteint leur perfection. Il aurait pu succomber sans doute, mais mourir à Pharsale ou à Philippes est encore un honneur dont la postérité tient compte. Au contraire, comme il a changé d’opinions autant de fois que d’intérêts ou de caprices, comme il a tour à tour servi les partis les plus opposés sans croire à la justice d’aucun, il n’a jamais été qu’un orateur incomplet et qu’un politique de hasard, et il est mort sur un grand chemin comme un malfaiteur vulgaire. Cependant, malgré ses fautes, l’histoire a quelque peine à le maltraiter. Les écrivains anciens ne parlent jamais de lui qu’avec une secrète complaisance. L’éclat qui entoura sa jeunesse, les agréments de son esprit, l’élégance qu’il sut conserver jusque dans les plus tristes désordres, une sorte de franchise hardie qui l’empêchait de chercher des prétextes honorables pour des choses qui ne l’étaient pas, cette vue nette des situations dans la vie politique, cette connaissance des hommes, cette fécondité de ressources, cette vigueur de résolution, cette intrépidité à tout oser et à jouer sans cesse sa tête, tant de brillantes qualités mêlées à de si grands défauts ont désarmé les juges les plus rigoureux. Le sage Quintilien lui-même, si peu fait pour comprendre cette nature : emportée, n’a pas osé cependant être sévère pour lui. Après avoir loué les grâces de son esprit et son éloquence mordante, il se contente d’ajouter pour toute morale : C’était un homme qui méritait de se conduire mieux et de vivre