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se présentait pour leur succéder, ne pouvait pas tout à fait répudier leur héritage ; il fallait bien qu’il promît qu’il achèverait leur œuvre et satisferait aux vœux de la démocratie. En ce moment, elle ne paraissait pas se soucier beaucoup de réformes politiques ; ce qu’elle voulait, c’était une révolution sociale. Être nourri sans rien faire, aux frais de l’État, au moyen de distributions gratuites très fréquemment répétées ; s’approprier les meilleures terres des alliés en envoyant des colonies dans les villes italiennes les plus riches ; arriver à une sorte de partage des biens, sous prétexte de reprendre à l’aristocratie le domaine public qu’elle s’était approprié, tel était l’idéal ordinaire les plébéiens ; mais, ce qu’ils demandaient avec le plus d’insistance, ce qui était devenu le mot d’ordre de tout ce parti, c’était l’abolition des dettes, ou, comme on disait, la destruction des registres des créanciers (tabulæ novæ), c’est-à-dire la violation autorisée de la foi publique, et la banqueroute générale décrétée par la loi. Ce programme, si violent qu’il fût, César avait paru l’accepter en se proclamant le chef de la démocratie. Tant que la lutte fut douteuse, il s’était bien gardé de faire des réserves, de peur d’affaiblir son parti par des divisions. Aussi croyait-on que, dés qu’il serait victorieux, il se mettrait à l’œuvre pour le réaliser.

Mais César n’était pas seulement venu pour détruire un gouvernement, il voulait en fonder un autre, et il n’ignorait pas que sur la spoliation et la banqueroute on ne peut rien établir de solide. Après s’être servi sans remords du programme de la démocratie pour renverser la république, il comprit qu’un rôle nouveau commençait pour lui. Le jour où il fut maître de Rome, son instinct d’homme d’État et son intérêt de souverain en firent un conservateur. En même temps qu’il tendait la main aux hommes modérés des partis anciens, il n’avait