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Remercions ces amis impatients, ces messagers si pressés qui n’ont pas laissé à Cicéron le temps de faire des pièces d’éloquence. Ce qui plaît dans ses lettres, c’est précisément qu’elles contiennent le premier jet de ses sentiments, qu’elles sont pleines d’abandon et de naturel. Comme il ne prend pas le temps de se déguiser, il se montre à nous tel qu’il est. Aussi son frère lui disait-il un jour : « Je vous ai vu tout entier dans votre lettre[1]. » C’est ce que nous sommes tentés de lui dire nous-mêmes toutes les fois que nous le lisons. S’il est si vif, si pressant, si animé, lorsqu’il cause avec ses amis, c’est que son imagination se transporte sans peine aux lieux où ils sont. « Il me semble que je vous parle[2] », écrit-il à l’un. « Je ne sais comment il se fait, dit-il à l’autre, que je crois être près de vous en vous écrivant[3]. Bien plus encore que dans ses discours, il est, dans ses lettres, tout entier aux émotions du moment. Vient-il d’arriver dans quelqu’une de ses belles maisons de campagne qu’il aime tant, il se livre à la joie de la revoir ; elle ne lui a jamais semblé si belle. Il visite ses portiques, ses gymnases, ses exèdres ; il court à ses livres, honteux de les avoir quittés. L’amour de la solitude s’empare de lui au point qu’il ne se trouve jamais assez seul. Sa maison de Formies elle-même finit par lui déplaire, parce qu’il y vient trop d’importuns. « C’est une promenade publique, dit-il, ce n’est pas une villa[4]. » Il y retrouve les gens les plus ennuyeux du monde, son ami Sebosus et son ami Arrius, qui s’obstine à ne pas retourner à Rome, quelque prière qu’il lui en fasse, pour lui tenir compagnie et philosopher tout le jour avec lui. « Au moment où je vous écris, dit-il à Atticus, on m’annonce Sebosus. Je n’ai

  1. Ad fam., XVI, 16.
  2. Ad Att., XIII, 18.
  3. Ad fam. », XV, 16.
  4. Ad Att., II, 14.