Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa prudence, mais lui se la reprochait comme un crime. Il accusait amèrement sa faiblesse, son âge, son amour du repos et de la paix. Il n’avait plus qu’une pensée, c’était de partir au plus vite. « Je ne puis supporter mes regrets, disait-il ; mes livres, mes études, ma philosophie ne me servent de rien. Je suis comme un oiseau qui veut s’envoler, et je regarde toujours du côté de la mer[1]. »

Dès lors, sa résolution était prise. Cælius essaya en vain de le retenir au dernier moment par une lettre touchante, où il lui montrait sa fortune perdue et l’avenir de son fils compromis. Cicéron, quoique très ému, se contenta de répondre avec une fermeté qui ne lui était pas ordinaire : « Je suis heureux de voir que vous preniez autant de souci pour mon fils ; mais si la république subsiste, il sera toujours assez riche avec le nom de son père ; si elle doit périr, il subira le sort commun de tous les citoyens[2]. » Et, bientôt après, il passa la mer pour se rendre dans le camp de Pompée. Ce n’est pas qu’il comptât sur le succès : en s’associant à un parti dont il connaissait toutes les faiblesses, il savait bien qu’il allait volontairement prendre sa part d’un désastre. « Je viens, disait il, comme Amphiaraüs, me jeter vivant dans le gouffre[3]. » C’était un sacrifice qu’il croyait devoir faire à sa patrie, et il convient de lui en tenir d’autant plus de compte qu’il le faisait sans illusion et sans espérance.

Pendant que Cicéron allait ainsi rejoindre Pompée, Cælius accompagnait César en Espagne. Tout commerce entre eux devenait dès lors impossible ; aussi leur correspondance, qui avait été jusque-là très active, s’arrête-t-elle à ce moment. Il reste cependant encore une lettre, la dernière qu’ils se soient écrite, et qui forme

  1. Ad Att., IX, 10.
  2. Ad fam., II, 16.
  3. Ad fam., VI, 6.