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comme elle naît chez lui. Il ne prend pas la peine de travailler son style ; tout ce qu’il écrit a d’ordinaire un air si aisé, quelque chose de si facile et de si simple, qu’on ne peut pas y soupçonner l’apprêt ni l’artifice. Un de ses correspondants qui croyait lui faire plaisir, lui ayant un jour parlé des foudres de ses expressions, fulmina verborum, il lui répond : « Que pensez-vous donc de mes lettres ? Ne trouvez-vous pas que je vous écris avec le style de tout le monde ? On ne doit pas garder toujours le même ton. Une lettre ne peut pas ressembler à un plaidoyer ou à un discours politique… On se sert pour elle des expressions de tous les jours[1]. » Quand il aurait voulu les soigner davantage, il n’en aurait pas trouvé le loisir. Il en avait tant à écrire pour contenter tout le monde ! Atticus, à lui seul, en a quelquefois reçu trois dans la même journée. Aussi les écrivait-il où il pouvait, pendant les séances du sénat, dans son jardin, lorsqu’il se promène, sur la grande route, quand il voyage. Il les date quelquefois de sa salle à manger, où il les dicte à ses secrétaires entre deux services. Quand il les écrit de sa main, il ne se laisse pas davantage le temps de réfléchir. « Je prends, dit-il à son frère, la première plume que je trouve, et je m’en sers comme si elle était bonne[2]. » Aussi n’était-il pas toujours facile de le déchiffrer. Quand on s’en plaint, il ne manque pas de bonnes raisons pour s’excuser. C’est la faute des messagers envoyés par ses amis, et qui ne veulent pas attendre. « Ils viennent, dit-il, tout prêts à partir et couverts de leurs chapeaux de voyage ; ils disent que leurs camarades les attendent à la porte[3]. » Pour ne pas les retarder, il faut écrire au hasard tout ce qui vient à l’esprit.

  1. Ad fam., IX, 21.
  2. Ad Quint., II, 15, 6.
  3. Ad fam., XV,17.