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achève d’expliquer la réputation dont il jouissait et l’importance qu’il avait prise parmi ses contemporains. Ce discuteur emporté, ce railleur impitoyable, cet accusateur véhément n’aurait pas été tout à fait à sa place dans des temps réguliers ; mais au milieu d’une révolution il devenait un auxiliaire précieux, que tous les partis se disputaient. Cælius était d’ailleurs homme d’État aussi bien qu’orateur. C’est l’éloge que Cicéron lui donne le plus souvent. « Je ne connais personne, lui dit-il, qui soit meilleur politique que vous[1]. » Il connaissait à fond les hommes ; il avait la vue nette des situations ; il se décidait vite, qualité que Cicéron appréciait beaucoup chez les autres, car c’était celle qui lui manquait le plus, et quand une fois il était décidé, il se mettait à l’œuvre avec une vigueur et une violence qui lui avaient gagné les sympathies de la foule. À une époque où le pouvoir appartenait à ceux qui osaient le prendre, l’audace de Cælius semblait lui promettre un brillant avenir politique.

Cependant, il avait aussi de grands défauts, qui lui venaient quelquefois de ses qualités mêmes. Il connaissait bien les hommes, c’est sans doute un grand avantage, mais dans l’étude qu’il faisait d’eux, c’étaient toujours leurs méchants côtés qui le frappaient de préférence. À force de les retourner en tout sens, son effrayante pénétration finissait par mettre à nu quelque faiblesse. Ce n’était pas seulement pour ses adversaires qu’il réservait sa sévérité. Ses meilleurs amis n’échappaient pas à cette analyse trop clairvoyante. On voit, dans sa correspondance intime, qu’il connait tous leurs défauts et qu’il ne se gêne pas pour les dire. Dolabella, son compagnon de plaisir, est un bavard médiocre, « incapable de garder un secret, même quand son indis-

  1. Ad fam., II, 8.