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qui l’attaqua à son retour, racontait ou plutôt imaginait, dans son plaidoyer, une de ces orgies pendant lesquelles le général ivre mort se laissait surprendre par l’ennemi.

« Des femmes, ses officiers ordinaires, remplissaient la salle du festin, étendues sur tous les lits, ou couchées çà et là par terre. Quand elles apprennent que l’ennemi arrive, à moitié mortes de peur, elles essayent de réveiller Antoine ; elles crient son nom, elles le soulèvent par le cou. Quelques-unes murmurent des douceurs à son oreille, d’autres le traitent plus rudement et vont jusqu’à le frapper ; mais lui qui reconnaît leurs voix et leurs attouchements tend les bras par habitude, saisit et veut embrasser la première qu’il rencontre. Il ne peut ni dormir, tant on crie pour l’éveiller, ni s’éveiller, tant il est ivre. Enfin sans pouvoir secouer ce demi-sommeil, il est emporté sur les bras de ses centurions et de ses maîtresses[1]. »

Quand on possède un talent si âcre et si incisif, il est naturel qu’on ait l’humeur agressive. Aussi rien ne convenait-il mieux à Cælius que les luttes personnelles. Il aimait et recherchait la discussion, parce qu’il était sûr d’y réussir, et qu’il avait de ces attaques violentes auxquelles on ne pouvait pas résister. Il souhaitait d’être contredit, car la contradiction l’animait et lui donnait des forces. Sénèque raconte qu’un jour un de ses clients, homme d’humeur pacifique, et qui sans doute avait souffert de ses brusqueries, se contentait, pendant un repas, de lui donner la réplique ; Cælius se fâcha de ne pouvoir se fâcher. Osez donc me contredire, lui dit-il avec colère, afin que nous soyons deux ici[2]. Le talent de Cælius, tel que je viens de le dépeindre, convenait merveilleusement au temps où il a vécu. C’est ce qui

  1. Quintilien, Inst. or., IV, 2.
  2. De ira, III, 8.