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qu’on regarde de plus près. Quand on cherche quelles sont les qualités vraiment originales de ses discours, il se trouve que ce sont tout à fait les mêmes qui nous charment dans ses lettres. Ses lieux communs ont quelquefois vieilli, il arrive que son pathétique nous laisse froids, et nous trouvons souvent qu’il y a trop d’artifice dans sa rhétorique ; mais ce qui dans ses plaidoyers est resté vivant, ce sont ses récits et ses portraits. Il est difficile d’avoir plus de talent que lui pour raconter ou pour dépeindre, et de représenter plus au vif qu’il ne le fait les événements et les hommes. S’il nous les fait si bien voir, c’est qu’il les a lui-même devant les yeux. Quand il nous montre le marchand Chéréa avec ses sourcils rasés et cette tête qui sent la ruse et où respire la malice[1], ou le préteur Verrès se promenant dans une litière à huit porteurs, comme un roi de Bithynie, mollement couché sur des roses de Malte[2], ou Vatinius s’élançant pour parler, les yeux saillants, le cou enflé, les muscles tendus[3], ou les témoins gaulois qui parcourent le forum avec un air de triomphe et la tête haute[4], ou les témoins grecs qui bavardent sans trêve et gesticulent des épaules[5], tous ces personnages enfin, qu’on n’oublie plus quand on les a une fois rencontrés chez lui, sa puissante et mobile imagination se les figure avant de les peindre. Il possède merveilleusement la faculté de se faire le spectateur de ce qu’il raconte. Les choses le frappent, les personnes l’attirent ou le repoussent avec une incroyable vivacité, et il se met tout entier dans les peintures qu’il en fait. Aussi quelle passion dans ses récits ! Quels emportements furieux dans ses attaques ! Quelle ivresse de joie quand il décrit quelque mauvais succès de ses ennemis ! Comme

  1. Pro Rosc., com., 7.
  2. In Verrem, act. sec., V, 11.
  3. In Vatin., 2.
  4. Pro Font., 11.
  5. Pro Rabir., post., 13.