Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui s’y rendaient pour se guérir justifiaient une foule de gens bien portants qui y venaient pour s’amuser. Le monde y affluait dès le mois d’avril, et pendant toute la belle saison il s’y nouait mille intrigues légères dont le bruit venait jusqu’à Rome. Les gens graves avaient grand soin qu’on ne les vit pas dans ce tourbillon, et plus tard Clodius accusa Cicéron comme d’un crime de l’avoir seulement traversé ; mais Cælius et Clodia ne tenaient pas à se cacher : aussi se livrèrent-ils sans contrainte à tous les plaisirs qu’on trouvait dans ce pays qu’Horace appelle le plus beau lieu du monde. Rome entière parla de leurs courses sur le rivage, de l’éclat et du bruit de leurs festins et de leurs promenades sur la mer, avec des barques qui portaient des chanteurs et des musiciens. Voilà tout ce que Cicéron nous raconte ou plutôt ce qu’il nous fait entrevoir, car, contre son habitude et à notre grand dommage, il a tenu cette fois à être discret pour ne pas compromettre son ami Cælius. Nous pouvons heureusement en savoir davantage et pénétrer plus profondément dans cette société que notre curiosité voudrait mieux connaître : il ne faut pour cela que nous adresser à celui qui fut, avec Lucrèce, le plus grand poète de ce temps, à Catulle. Catulle a vécu parmi ces personnages si dignes d’étude, et il a eu avec eux des rapports qui lui ont permis de les bien dépeindre. Tout le monde connait cette Lesbie que ses vers ont immortalisée ; mais ce qu’on sait moins, c’est que Lesbie n’était pas une de ces fictions comme en imaginent souvent les poètes élégiaques. Ovide nous dit que ce nom cachait celui d’une dame romaine, probablement une grande dame, puisqu’il ne veut pas la nommer, et à la façon dont il en parle on voit bien que tout le monde alors la connaissait[1]. Apulée, qui vivait beaucoup plus

  1. Ovide, Tristes, II, 427.