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III

La vie privée est donc favorable à Atticus. Il est moins heureux quand on étudie la conduite qu’il tint dans les affaires publiques. Sur ce point, les reproches ne lui ont pas été épargnés, et il n’est pas facile de le défendre.

Nous ne lui serions pourtant pas très défavorables, si nous jugions sa conduite tout à fait avec les idées de nos jours. L’opinion est devenue beaucoup moins sévère aujourd’hui pour ceux qui font ouvertement profession de vivre loin de la politique. Il y a tant de gens qui aspirent à gouverner leur pays, et il est devenu si difficile de faire un choix parmi cette foule, qu’on est tenté de savoir quelque gré à ceux qui n’ont pas cette ambition. Loin de les blâmer, on les appelle des modérés et des sages ; c’est une exception qu’on encourage pour débarrasser un peu cette route encombrée. À Rome, on pensait tout autrement, et il n’est pas difficile de trouver les raisons de cette différence. Là, ce qu’on pourrait appeler le corps politique était en réalité fort restreint. En dehors des esclaves, qui ne comptaient pas, du peuple, qui se contentait de donner ou plutôt de vendre sa voix dans les élections, et dont c’était le plus grand privilège d’être amusé aux frais des candidats et nourris au dépens du trésor public, il restait quelques familles d’ancienne race ou d’illustration plus récente qui se partageaient tous les emplois. Cette aristocratie de naissance et de fortune n’était pas très nombreuse, et c’est à peine si elle suffisait à fournir ce qu’il fallait de magistrats de toute sorte pour gouverner le monde. On tenait donc à ce que personne ne fit défaut, et vivre dans la retraite était regardé comme une désertion. Les choses ne se passent plus de même dans notre dé-