Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprits, mêlés à toutes ces intrigues comme acteurs ou comme curieux ; c’est ce qu’il racontait lui-même de la façon la plus piquante à ses amis absents ; et voilà comment les lettres qu’il a reçues ou envoyées contiennent, sans qu’il l’ait voulu faire, toute l’histoire de son temps[1].

Les correspondances des hommes politiques de nos jours, quand on les publie, sont loin d’avoir la même importance. C’est que l’échange des sentiments et des pensées ne se fait plus autant qu’alors au moyen des lettres. Nous avons inventé des procédés nouveaux. L’immense publicité de la presse a remplacé avec avantage ces communications discrètes qui ne pouvaient pas s’étendre au delà de quelques personnes. Aujourd’hui, en quelque lieu désert qu’un homme soit retiré, les journaux viennent le tenir au courant de tout ce qui se fait dans le monde. Comme il apprend les événements presque en même temps qu’ils se passent, il en reçoit non seulement la nouvelle, mais aussi l’émotion. Il croit les voir et y assister, et il n’a aucun besoin qu’un ami bien informé se donne la peine de l’instruire. Ce serait une étude curieuse que de chercher tout ce que les journaux ont détruit et remplacé chez nous. Du temps de Cicéron, les lettres en tenaient souvent lieu et rendaient les mêmes services. On se les passait de main en main quand elles contenaient quelque nouvelle qu’on avait intérêt à savoir. On lisait, on commentait, on copiait celles des grands personnages qui faisaient connaître leurs sentiments. C’est par elles qu’un homme politique qu’on attaquait se défendait auprès des gens

  1. J’ai essayé d’éclaircir quelques-unes des questions auxquelles donne lieu la publication des lettres de Cicéron dans un mémoire intitulé : Recherches sur la manière dont furent recueillies et publiées les lettres de Cicéron, Paris, Durand, 1863.