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de sa famille, pour ne rien laisser derrière lui qui pût tenter les proscripteurs, et acheta des terres en Epire, dans ce pays des grands troupeaux, où la terre rapportait tant. Il est probable qu’il ne les paya pas cher. Mithridate venait de ravager la Grèce, et comme il n’y restait plus d’argent, tout s’y vendait à vil prix. Entre des mains habiles, ce domaine prospéra vite : tous les ans, de nouvelles terres étaient achetées sur l’épargne du revenu, et Atticus finit par être un des grands propriétaires du pays. Mais est-il vraisemblable que sa fortune lui vint uniquement de la bonne administration de ses champs ? Il aurait bien voulu le faire croire, pour se donner ainsi quelque ressemblance avec Caton et les vieux Romains. Malheureusement pour lui, son ami Cicéron le trahit. En lisant cette correspondance indiscrète, on ne tarde pas à reconnaître qu’Atticus avait beaucoup d’autres moyens pour s’enrichir que la vente de ses blés et de ses troupeaux. Cet habile agriculteur était en même temps un adroit négociant qui a fait heureusement tous les commerces. Il excellait à tirer profit non seulement des folies des autres, ce qui est l’ordinaire, mais même de ses plaisirs, et son talent consistait à s’enrichir où d’autres se ruinent. On sait par exemple qu’il aimait beaucoup les beaux livres : c’était alors, comme aujourd’hui, une manie fort coûteuse ; il sut en faire une source de beaux bénéfices. Il avait réuni chez lui un grand nombre de copistes habiles qu’il formait lui-même ; après les avoir fait travailler pour lui, et quand sa passion était satisfaite, il les faisait travailler pour les autres, et vendait très cher au public les livres qu’ils copiaient. C’est ainsi qu’il fut un véritable éditeur pour Cicéron, et comme les ouvrages de son ami se vendaient beaucoup, il arriva que cette amitié, qui était pleine d’agréments pour son cœur, ne fût pas inutile à sa