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leurs vainqueurs partager leur goût le plus cher et protester ainsi contre l’injuste dédain des autres. Leur reconnaissance, qui, comme l’on sait, était toujours très bruyante, accabla Atticus de flatteries de toute sorte. On multiplia les décrets en son honneur ; on lui offrit toutes les dignités de la cité ; on voulut même lui élever des statues. Atticus s’empressa de tout refuser ; mais l’effet était produit, et le bruit de tant de popularité ne manquait pas d’arriver à Rome, apporté par ces jeunes gens de grande famille qui venaient terminer leur éducation en Grèce. De cette façon, le nom d’Atticus ne perdait rien à son absence ; les gens de goût s’entretenaient de cet amateur éclairé des arts qui s’était fait remarquer même à Athènes, et pendant ce temps le grand nombre, en ne le voyant plus, perdait l’habitude de le ranger dans un parti politique.

C’était un pas de fait. Il en restait un plus important à faire. Atticus avait vu de bonne heure que la première condition pour être indépendant, c’est d’être riche. Cette vérité générale était encore plus évidente à cette époque que jamais. Que de gens dont la conduite pendant les guerres civiles ne peut s’expliquer que par l’état de leur fortune ? Pour servir César qu’il n’aimait pas, Curion n’avait qu’un seul motif, l’exigence de ses créanciers ; et Cicéron lui-même place parmi les raisons principales qui l’empêchent de se rendre au camp de Pompée, où l’appellent toutes ses sympathies, l’argent que César lui avait prêté, et qu’il ne pouvait pas lui rendre. Pour échapper aux embarras de cette sorte et conquérir sa pleine liberté, Atticus résolut d’être riche, et il le devint. Il importe, je crois, de donner ici quelques détails pour faire voir comment on s’enrichissait à Rome. Son père lui avait laissé une fortune assez modique, 2 millions de sesterces (400,000 francs). Lorsqu’il quitta Rome, il vendit presque tous les biens