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et les massacres recommencer à chaque victoire nouvelle. Il a vécu, non pas humble, ignoré, se faisant oublier dans quelque ville lointaine, mais à Rome et en pleine lumière. Tout contribuait à attirer les yeux sur lui ; il était riche, ce qui était un motif suffisant d’être proscrit ; il avait une grande réputation d’homme d’esprit ; il fréquentait volontiers les puissants, et, par ses liaisons au moins, il était regardé comme un personnage. Cependant il sut échapper à tous les dangers que lui créaient sa position et sa fortune, et même il trouva moyen de grandir à chacune de ces révolutions qui semblaient devoir le perdre. Chaque changement de régime qui précipitait ses amis du pouvoir le laissait plus riche et mieux assis, si bien qu’au dernier il se trouva tout naturellement placé presque à côté du nouveau maître. Par quelle merveille d’habileté, par quel prodige de savantes combinaisons parvint-il à vivre honoré, riche et puissant dans un temps où il était si difficile seulement de vivre ? C’était un problème plein de difficultés ; voici comment il le résolut.

En présence des premiers massacres dont il avait été témoin, Atticus s’était décidé à vivre désormais loin des affaires et des partis ; mais cela n’est pas aussi facile qu’on serait tenté de le croire, et la plus ferme volonté ne suffit pas toujours pour y réussir. On a beau déclarer qu’on veut rester neutre, le monde s’obstine à vous classer d’après le nom que vous portez, les traditions de votre famille, vos liaisons personnelles et les premières manifestations de vos préférences. Atticus comprit que, pour échapper à cette sorte d’enrôlement forcé et pour dérouter tout à fait l’opinion publique, il fallait quitter Rome et la quitter pour longtemps. Il espérait, par cet exil volontaire, reprendre la pleine possession de lui-même et rompre les liens qui, malgré lui, l’attachaient encore au passé. Mais, s’il voulait se dérober aux yeux