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était plein d’or et d’objets précieux. Malheureusement pour Rabirius il n’y avait rien de vrai dans tous ces récits. Le petit navire n’existait que dans l’imagination des nouvellistes, et les marchandises que portaient les autres s’étant mal vendues, il fut tout à fait ruiné. Sa catastrophe fit sensation à Rome, et l’on s’en occupa toute une saison. Les amis qu’il avait si généreusement obligés l’abandonnèrent ; l’opinion publique, qui lui avait été jusque-là si favorable, se déchaîna contre lui. Les plus indulgents l’appelaient un sot, les plus emportés l’accusaient de feindre la misère et de soustraire à ses créanciers une partie de sa fortune. Il est certain cependant qu’il n’avait plus rien et qu’il ne vivait que des libéralités de César, un de ceux en petit nombre qui lui restèrent fidèles dans son malheur. Cicéron non plus ne l’oublia pas. Il se souvint qu’à l’époque de son exil Rabirius avait mis sa fortune à sa disposition et payé des hommes pour l’accompagner. Aussi s’empressa-t-il de plaider pour lui quand on voulut l’envelopper dans le procès de Gabinius, et il parvint au moins à lui conserver l’honneur et la liberté.

Il manque un trait à cette peinture. Cicéron nous dit, dans son discours, que Rabirius était médiocrement savant. Il avait tant fait de choses en sa vie qu’il n’avait pas eu le temps de songer à s’instruire ; mais ce n’était pas l’ordinaire : on sait que beaucoup de ses collègues, malgré leurs occupations peu littéraires, n’en étaient pas moins des gens spirituels et lettrés. Cicéron, en recommandant à Sulpicius un négociant de Thespies, lui disait : « Il a du goût pour nos études[1]. » Il regardait Curius de Patras comme un de ceux qui avaient le mieux conservé le tour de l’ancienne plaisanterie romaine. « Hâtez-vous de revenir à Rome, lui écrivait-il, de peur que

  1. Ad fam., XIII, 22.