Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culture de l’esprit qui rend les âmes plus douces. C’est par son influence que l’esclavage, sans être attaqué dans son principe, fut profondément modifié dans ses conséquences. Ce changement se fit sans bruit. On ne chercha pas à heurter de front les préjugés dominants : jusqu’à Sénèque, on n’insista pas pour établir les droits de l’esclave à être compté parmi les hommes, et on continua à l’exclure des grandes théories qu’on faisait sur la fraternité humaine ; mais en réalité personne ne profita plus que lui de l’adoucissement des mœurs. On vient de voir comment Cicéron traitait les siens, et il n’était pas une exception. Atticus se conduisait comme lui, et cette humanité était devenue une sorte de point d’honneur dont on se piquait dans ce monde de gens polis et lettrés. Quelques années plus tard, Pline le Jeune, qui en était aussi, parle avec une tristesse qui nous touche des maladies et de la mort de ses esclaves. « Je n’ignore pas, dit-il, que beaucoup d’autres ne regardent ces sortes de malheurs que comme une simple perte de bien, et qu’en pensant ainsi ils se croient de grands hommes et des hommes sages. Pour moi, je ne sais s’ils sont aussi grands et aussi sages qu’ils se l’imaginent, mais je sais bien qu’ils ne sont pas des hommes[1]. » Ces sentiments étaient ceux de toute la société distinguée de cette époque. L’esclavage avait donc beaucoup perdu de ses rigueurs vers la fin de la république romaine et dans les premiers temps de l’empire. Ce progrès qu’on rapporte ordinairement au christianisme, était plus ancien que lui, et il faut bien en accorder la gloire à la philosophie et aux lettres.

En dehors des affranchis et des esclaves, qui faisaient partie de la famille d’un riche Romain, d’autres personnes s’y rattachaient encore, quoique d’une façon

  1. Pline, Epist., VIII, 16.