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vous ne songerez qu’à vous rétablir… Je vous demande en grâce de ne pas regarder à la dépense. J’ai écrit à Curius de vous donner tout ce que vous demanderiez, de traiter généreusement le médecin pour le rendre plus soigneux. Vous m’avez rendu des services innombrables chez moi, au forum, à Rome, dans ma province, dans mes affaires publiques et privées, dans mes études et pour mes lettres ; mais vous y mettrez le comble, si, comme je l’espère, je vous revois en bonne santé[1]. » Tiron paya cette affection par un dévouement qui ne se fatigua jamais. Avec sa santé chancelante, il vécut plus de cent ans, et l’on peut dire que toute cette longue vie fut employée au service de son maître. Son zèle ne se ralentit pas lorsqu’il l’eut perdu, et il s’occupa de lui jusqu’à son dernier moment. Il écrivit son histoire, il publia ses ouvrages inédits ; pour ne laisser rien perdre, il recueillit jusqu’à ses moindres notes et à ses bons mots, dont il avait fait, dit-on, une collection un peu trop longue, car son admiration ne choisissait pas. Enfin il donna de ses discours d’excellentes éditions qui étaient encore consultées du temps d’Aulu-Gelle[2]. C’étaient assurément les services dont Cicéron, qui tenait tant à sa gloire littéraire, aurait su le plus de gré à son fidèle affranchi.

Il y a une réflexion qu’on ne peut s’empêcher de faire quand on étudie les rapports de Tiron avec son maître, c’est que l’esclavage antique, vu de ce côté et dans la maison d’un homme comme Cicéron, paraît moins rebutant. Évidemment il s’était fort adouci à cette époque, et les lettres sont pour beaucoup dans ce progrès. Elles avaient répandu parmi ceux qui les aimaient une vertu nouvelle, dont le nom revient souvent dans les ouvrages philosophiques de Cicéron, l’humanité, c’est-à-dire cette

  1. Ad fam., XVI, 3 et 4.
  2. Aulu-Gelle, XIII, 20.