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d’ici sous votre nouvel aspect ! Il me semble que je vous vois acheter des instruments rustiques, causer avec le fermier, ou garder au dessert, dans un pan de votre robe, des semences pour votre jardin ![1]. » Mais, propriétaire et affranchi, Tiron n’était pas moins au service de son maître que lorsqu’il était son esclave.

Sa santé était mauvaise, et on ne la ménageait guère. Tout le monde l’aimait, mais, sous ce prétexte, tout le monde aussi le faisait travailler. On s’entendait pour abuser de sa complaisance, qu’on savait inépuisable. Quintes, Atticus, Marcus, exigeaient qu’il leur donnât sans cesse des nouvelles de Rome et de Cicéron. À chaque surcroît d’occupation qui survenait à son maître, Tiron en prenait si bien sa part qu’il finissait par tomber malade. Il se fatigua tant pendant le gouvernement de Cilicie que Cicéron fut contraint à son retour de le laisser à Patras. C’était bien à regret qu’il se séparait de lui, et, pour lui témoigner la douleur qu’il avait de le quitter, il lui écrivait jusqu’à trois fois dans le même jour. Les soins qu’en toute occasion Cicéron prenait de cette santé délicate et précieuse étaient infinis : il se faisait médecin pour le guérir. Un jour qu’il l’avait laissé mal disposé à Tusculum, il lui écrivait : « Occupez-vous donc de votre santé, que vous avez négligée jusqu’ici pour me servir. Vous savez ce qu’elle demande : une bonne digestion, point de fatigue, un exercice modéré, de l’amusement, et le ventre libre. Revenez joli garçon ; je vous en aimerai mieux, vous et Tusculum[2]. » Quand le mal était plus grave, les recommandations étaient plus longues. Toute la famille se réunissait pour écrire, et Cicéron, qui tenait la plume, lui disait, au nom de sa, femme et de ses enfants : « Si vous nous aimez tous, et moi particulièrement, qui vous ai élevé,

  1. Ad fam., XVI, 21.
  2. Ad fam., XVI, 18.