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toire de ce temps[1], et en effet, nous la retrouvons là bien plus vivante et bien plus vraie que dans des ouvrages suivis et composés tout exprès pour nous l’enseigner. Que nous apprendraient de plus Asinius Pollion, Tite-Live ou Cremutius Cordus, si nous les avions conservés ? Ils nous donneraient leur opinion personnelle ; mais cette opinion est, la plupart du temps, suspecte : elle vient de gens qui n’ont pas pu dire toute la vérité, qui écrivaient à la cour des empereurs, comme Tite-Live, ou qui, comme Pollion, espéraient se faire pardonner leur trahison en disant le plus de mal qu’ils pouvaient de ceux qu’ils avaient trahis. Il vaut donc mieux, au lieu de recevoir une opinion toute faite, se la faire soi-même, et c’est ce que nous rend possible la lecture des lettres de Cicéron. Elle nous jette au milieu des événements et nous les fait suivre jour par jour. Malgré les dix-huit siècles qui nous en séparent, il nous semble que nous les voyons se passer sous nos yeux, et nous nous trouvons placés dans cette position unique d’être assez près des faits pour en voir la couleur véritable, et assez éloignés d’eux pour les juger sans passion.

L’importance de ces lettres s’explique facilement. Les hommes politiques de ce temps avaient bien plus besoin de s’écrire que ceux d’aujourd’hui. Le proconsul qui partait de Rome pour aller gouverner quelque province lointaine sentait bien qu’il s’éloignait tout à fait de la vie politique. Pour des gens accoutumés aux mouvements des affaires, aux agitations des partis, ou, comme ils disaient, au grand jour du forum, c’était un grand ennui d’aller passer plusieurs années dans ces contrées perdues, où les bruits de la place publique de Rome ne parvenaient pas. À la vérité ils recevaient une sorte de gazette officielle, acta diurna, vénérable ancêtre de notre

  1. Corn. Nepos, Att., 16.