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l’affection que Cicéron témoignait à sa fille. Cette affection avait des excès et des préférences qui pouvaient la blesser, et elle n’était pas femme à en souffrir sans se plaindre. Il est à croire que ces discussions ont préparé et amené de loin le divorce, mais elles ne le décidèrent pas. Le motif en fut plus prosaïque et plus vulgaire. Cicéron le justifie par les gaspillages et les détournements de sa femme, et il l’accuse plusieurs fois de l’avoir ruiné à son profit. Un des caractères les plus curieux de cette époque, c’est que les femmes y paraissent aussi occupées d’affaires, aussi avides de spéculations que les hommes. L’argent est leur premier souci. Elles font valoir leurs biens, elles placent leurs fonds, elles prêtent et elles empruntent. Nous en trouvons une parmi les créanciers de Cicéron, et deux parmi ses débiteurs. Seulement, comme elles ne pouvaient pas toujours paraître elles-mêmes dans ces entreprises de finance, elles avaient recours à quelque affranchi complaisant ou à quelque homme d’affaires suspect qui surveillait leurs intérêts et profitait de leurs bénéfices. Dans son discours pour Cæcina, Cicéron, rencontrant sur son chemin un personnage de cette espèce, dont c’était le métier de s’attacher à la fortune des femmes et souvent de faire la sienne à leurs dépens, le dépeint en ces termes : « Il n’y a pas d’homme que l’on trouve davantage dans la vie ordinaire. Il est le flatteur des dames, l’avocat des veuves, un chicaneur de profession, amoureux de querelles, grand coureur de procès, ignorant et sot parmi les hommes, habile et savant jurisconsulte avec les femmes, adroit à séduire par les apparences d’un faux zèle et d’une amitié hypocrite, empressé à rendre des services quelquefois utiles, rarement fidèles[1]. » C’était un guide merveilleux à l’usage des femmes tourmentées du désir

  1. Pro Cœcin., 5.