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cet ami passionné de la magnificence et du luxe, a-t-il osé traiter de fous les gens qui aiment trop les statues et les tableaux, ou qui se construisent des maisons magnifiques ? Le voilà condamné par lui-même, et je n’ai pas envie de l’absoudre tout à fait ; mais au moment de porter sur lui un jugement sévère, rappelons-nous en quel temps il vivait, et songeons à ses contemporains. Je ne veux pas le comparer aux plus méchants, son triomphe serait trop facile ; mais entre ceux qu’on regarde comme les plus honnêtes il tient encore une des meilleures places. Il ne doit pas sa fortune à l’usure, comme Brutus et ses amis, il ne l’a point augmentée par cette avarice sordide qu’on reprochait à Caton ; il n’a pas pillé les provinces, comme Appius ou Cassius ; il n’a pas consenti, comme Hortensius, à prendre sa part de ces pillages. Il faut donc bien reconnaître que, malgré les reproches qu’on peut lui faire, il était dans ces questions d’argent plus délicat et plus désintéressé que les autres. En somme, ses désordres n’ont fait de tort qu’à lui-même[1], et s’il avait trop le goût des prodigalités ruineuses, au moins n’a-t-il pas eu recours, pour y suffire, à des profits scandaleux. Ces scrupules l’honorent d’autant plus qu’ils étaient alors plus rares, et que peu de gens ont traversé sans quelque souillure la société cupide et corrompue parmi laquelle il vivait.

  1. Il n’est pas probable que Cicéron ait fait tort à ses créanciers comme Milon, qui ne leur donna que 4 p. 100. Au moment de quitter Rome, après la mort de César, Cicéron écrivait à Atticus que l’argent qu’on lui devait suffirait à payer les dettes qu’il avait faites ; mais, comme en ce moment l’argent était rare et comme les débiteurs se faisaient prier, il lui donnait l’ordre de vendre ses biens, s’il en était besoin, et il ajoutait : « Ne consultez là-dessus que ma réputation. » (Ad Att., XVI, 2.)