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maisons ou ses terres. Un jour qu’il presse Atticus de lui acheter des jardins dont il a envie, il lui dit d’un air de négligence qu’il peut bien avoir 600,000 sesterces (120,000 fr.) chez lui[1]. Nous touchons là peut-être à une des plus curieuses différences qui séparent cet état social du nôtre. Il n’y a guère aujourd’hui que les banquiers de profession chez qui aient lieu des maniements de fonds aussi considérables. Notre aristocratie a toujours affecté, de dédaigner les questions de finance. Celle de Rome au contraire les connaissait bien et s’en préoccupait beaucoup. Ces grandes fortunes étaient mises au service de l’ambition politique. On n’hésitait pas à en hasarder une partie pour se faire des créatures. La bourse d’un candidat aux honneurs publics était ouverte à tous ceux qui pouvaient le servir. Il donnait aux plus pauvres, il prêtait aux autres, et cherchait à nouer avec eux des liens d’intérêt qui les asservissaient à sa cause. Le succès appartenait d’ordinaire à ceux qui avaient su obliger le plus de monde. Cicéron, quoique moins riche que la plupart d’entre eux, les imitait. Dans les lettres qu’il écrit à Atticus, il est presque partout question de billets et d’échéances, et l’on y voit que son argent circule de tous les côtés. Il est en relations suivies d’affaires, et, comme on dirait aujourd’hui, en compte courant avec les plus grands personnages. Tantôt il prête et tantôt il emprunte à César. On trouve, parmi ses nombreux débiteurs, des gens de toute condition et de toute fortune, depuis Pompée jusqu’à Hermogène, qui a bien l’air d’être un simple affranchi. Malheureusement, tout compte fait, ses créanciers sont bien plus nombreux encore. Malgré l’exemple et les conseils d’Atticus, il s’entendait mal à gouverner sa fortune. Il avait sans cesse des caprices coûteux. Il lui fallait à tout prix des statues et des ta-

  1. Ad Att., XII, 25.