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somnolence, sans changer de position jusqu’au matin, sans visions, ces visions nées du haschisch, à qui les romanciers donnent aussi l’opium pour père — absolument heureux et suivant à la piste de vagues idées agréables, reliées par le fil de très ténues transitions. Au matin, l’estomac se rebellait, la migraine serrait mon front et piquait mes tempes ; le soir, l’odieux mal oublié, je recommençais tout de même.

Puis, l’habitude me vint de lire en fumant ; l’opium décuplait l’intérêt des choses lues, comme des choses ouïes et vues ; je fis cette découverte au moment où je commençais, après plusieurs mois, à me lasser de quotidiennes conversations qui déjà n’apportaient plus d’idées nouvelles.

Un soir, j’oublie par quel hasard, je ne pus fumer ; pour la première fois, je connus les angoisses de l’homme nghièn (accoutumé à l’opium, ou à tout autre poison lent, tabac, thé, café, dont la privation est douloureuse). Quelle horrible nuit ! Le ventre en déroute, l’estomac tordu par des crampes jusqu’à ce jour inconnues, le corps secoué de frissons, les tempes dans un étau, les yeux larmoyants, ce fut une souffrance de damnation. Et tout cela disparut après quelques pipes fumées. Souvent, ayant retardé l’heure de l’intoxication,