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LA SORCIÈRE

cielles, discrètes, en les principaux quartiers. Il se paie cependant quelques nécromanciennes, mais pas pour de vrai, vaudevillesques singes de ses suprêmes vellédas, pour qui il n’est qu’un maître Gonin, un prestidigitateur, l’archifaiseur de tours.


La plupart des officines diaboliques s’affadissent, vénales et piètres. À peine si, çà et là, quelque agitée respire et aspire l’haleine du vieux Pithon. D’ordinaire c’est bien la somnambule, dans le sens scientifique de ce mot, la femme qui marche dans son sommeil, jacasse, rêvasse, esclave d’un nerveux malaise. Elle n’est rien par soi ; non la fauve prêtresse, mais la dégénérée, l’hallucinée, l’ensorcelée, la possédée. Elle n’apparaît pas maîtresse d’occultes courants ; à la dérive elle est poussée par eux. Seulement une domestique de larves. Lucide parfois, — je parle ici des deux ou trois rares qui ne truquent point — elle débute par l’inconsciente découverte d’un crime, d’un vol. La police s’en empare aussitôt, la surveille, la lance, lui fait sa clientèle, en fait sa cliente. Celles qui ne sombrent pas dans les envoûtements de pacotille et les pharmaceutiques charmes, se contentent, — endormies par une main choisie, — de révéler, selon un contact d’objet ou de personne, les visions passant et repassant devant leurs yeux baissés. Elles peuvent, restant à peu près pures, être utiles quelquefois, et le plus souvent apaiser les banales inquiétudes de malades et de filles, de spleenétiques et d’oisifs.

La sorcière — celle-là comme les autres — est âgée ; c’est un fait[1]. Jules Michelet soutient que la sorcière est jeune,

  1. Il y a en effet une sorcière jeune et belle, c’est celle qui ne l’est pas, sorcière, mais que le peuple prend pour telle parce qu’elle se distingue, plus svelte de mysticisme, parfois instrument de divins miracles. Wilhelm Meinhold, dans Marie Schweidler, créa une semblable héroïne. C’est une jeune fille poursuivie pour sorcellerie et condamnée injustement. Pendant la guerre de Trente ans, la contrée a été ravagée par les amis et les ennemis ; famine et maladies déciment le bétail et les habitants. On croit à des possessions diaboliques. Une seule vierge dans le village a été épargnée par les soldats ; elle est la fille du pasteur. Et la légende dit qu’une innocente est nécessaire pour rompre les maléfices. Une vache est malade ; on cherche la jeune Marie pour qu’elle enterre sous le porche de l’écurie trois poils de sa queue. La vache guérit. Des porcs tombent malades, des hommes sont tourmentés par le diable. Poussée par la population, la jeune fille devient un thaumaturge vénéré ; par malheur, elle ne réussit pas toujours ; alors elle est dénoncée à l’inquisition, emprisonnée, mise à la question, interrogée selon le Malleus. Affolée, elle avoue des rapports avec le diable, va devenir la proie du bûcher, lorsqu’un chevalier amoureux d’elle, témoigne en sa faveur et la sauve.

    Le livre de Meinhold, écrit en allemand du xxiie siècle, a ravi Swinburne ; à vrai dire, il nous révèle de combien d’erreurs furent coupables des tribunaux superstitieux et il désigne comme victime la tendre innocente, la vierge aimable et inspirée, celle que le bûcher menace aussi bien que l’abominable vieille. Cette prétendue sorcière-là, c’est la sainte, la salvatrice, la Jeanne d’Arc.