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de la grande société internationale et humaine ? À ce moment une littérature internationale pourra se superposer aux littératures nationales qu’elle complétera sans les remplacer et par conséquent sans les détruire. C’est là ce que M. de Beaufront a très bien indiqué dans le passage suivant où, après avoir parlé de la triple fraternité qui découle parmi les hommes de leur communauté d’origine : fraternité de la famille ; fraternité du clan plus ou moins étendu, allant jusqu’au groupement national ; enfin fraternité humaine sans borne ni frontières, aussi vaste que l’espèce même, il ajoute :

« La fraternité de la famille et celle du clan, qui en est l’extension immédiate, ont l’une et l’autre leur organe dans la langue maternelle, elle en exprime les sentiments et les idées, en raconte l’histoire, en dit les aspirations et les espérances. — Seule jusqu’ici depuis des siècles, la fraternité humaine a été privée d’organe ; elle n’a pu qu’exprimer d’une manière bornée, et à l’aide d’idiomes qui ne sont pas faits pour elle, ses idées, ses sentiments propres, ses aspirations et ses espérances. N’est-il pas temps qu’elle ait aussi sa langue ? N’est-il pas temps que cette langue, fille, sœur, auxiliaire de toutes les nôtres, mette fin à la situation ridicule d’une fraternité sans organe, d’une fraternité de sourd-muets ? Non certes, l’Esperanto, langue de la fraternité humaine, ne ruinera aucun de nos idiomes, mais il donnera à des frères le moyen de se comprendre et peut-être de s’aimer. » Or qui pourrait prétendre qu’entre les mains d’un homme de génie cette langue de la fraternité humaine ne donnera jamais naissance à quelque grande œuvre littéraire ?

Mais quelques services que l’Esperanto puisse rendre comme langue écrite, l’épreuve la plus redoutable qu’il ait à subir est sans contredit celle de l’usage oral. Des individus accoutumés à parler des langues nationales d’intonations si différentes peuvent-ils réaliser une prononciation internationale suffisamment uniforme pour réussir à se comprendre grâce à l’Esperanto ? On pouvait en douter a priori ; mais l’expérience du Congrès de Boulogne a levé tous les doutes. Pendant quatre jours des orateurs de toutes les nationalités ont parlé et discuté pendant des heures devant un auditoire international, aussi librement, aussi clairement que si chacun d’eux s’était exprimé dans sa langue mater-