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traduction suffirait pour tous les pays étrangers ; et cette traduction pourrait être faite dans le pays d’origine par un compatriote, par un ami de l’auteur, souvent par l’auteur même. N’y a-t-il pas là de précieuses garanties d’uniformité et d’exactitude ? Pour ma part, ne sachant pas le russe, j’éprouve une sensation littéraire beaucoup plus intense et plus originale en lisant telle œuvre de Tolstoï, de Pouchkine, de Garchine, etc., traduite en Esperanto par un Russe, que lorsque je lis cette même œuvre traduite en français par un Français ; et la comparaison des deux traductions, toutes les fois où j’ai pu la faire, m’a invariablement montré que la traduction Esperanto était plus riche et plus précise que la traduction française. Ajoutons que, chaque langue ayant ses habitudes, son esprit souvent très particulier, telle traduction littérale d’un passage anglais en français, pourra être en même temps pour un Français parfaitement intelligible et horriblement choquante ; ce même lecteur n’en serait nullement choqué dans une traduction en Esperanto, parce que la seule loi suprême de l’Esperanto est la clarté. En fait la littérature Espérantiste consiste surtout jusqu’ici en traductions ; mais ces traductions sont déjà assez nombreuses pour constituer une véritable bibliothèque internationale où figurent Homère, Virgile, la Chanson de Roland, Shakespeare, Racine, Molière, lord Byron, Gœthe, Schiller, et de nombreux écrivains russes et polonais.

L’Esperanto produira-t-il jamais quelque grande œuvre littéraire originale ? C’est le secret de l’avenir que nul ne peut se flatter de deviner. Certaines pages de Zamenhof, sa lettre sur l’origine de l’Esperanto, ses discours aux Congrès de Boulogne et de Genève, laissent une impression de beauté noble et fière, parfois très voisine du sublime ; et les idées, les sentiments exprimés dans ces pages semblent bien inséparables de la langue qui leur sert d’expression, puisqu’ils passent comme elle par-dessus les frontières des différents peuples et visent comme elle la vie commune et totale de l’humanité. N’est-il pas évident qu’à mesure des progrès futurs de la civilisation dans le monde, la conscience de tout homme vraiment homme, sans rien perdre des idées et des sentiments qui lui viendront de sa nation et de sa société particulière, s’élargira de plus en plus pour faire une place toujours plus ample aux idées et aux sentiments qui lui viendront