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dans la simplicité et la clarté, et que le style n’est que l’ordre qu’on met dans l’expression de sa pensée ».

Mais aussitôt s’élèvent les protestations de ceux qui prétendent réserver aux seules langues nationales le privilège, on pourrait presque dire le monopole de la littérature. Nous voulons bien, disent-ils, reconnaître l’utilité de l’Esperanto, nous intéresser même à son avenir, mais à la condition expresse qu’il reste une langue purement commerciale et scientifique, exclusivement bornée à des usages pratiques ; nous le combattrions résolument s’il devait afficher la moindre prétention littéraire. La littérature doit rester le domaine intangible des langues nationales ; car seules ces langues, œuvres des races et des siècles, peuvent exprimer fidèlement le génie d’une nation ou d’une époque.

Ainsi tout à l’heure on rejetait l’Esperanto, parce qu’il n’était pas et ne pouvait pas être une langue littéraire ; on le rejetterait maintenant par crainte qu’il pût un jour le devenir. Comme il est donc malaisé de contenter tout le monde !

Il est bien certain que l’Esperanto n’a pas été créé pour servir à la littérature, pas plus d’ailleurs qu’aucune des langues pour lesquelles on semble redouter aujourd’hui sa concurrence ; et pendant bien longtemps encore sa principale, sa seule utilité sera de faciliter les relations internationales sur le terrain du commerce, de la science et de la vie pratique en général. Mais pourquoi lui interdire a priori tout autre rôle, ou pour mieux dire, pourquoi défendre à l’humanité de s’en servir pour d’autres usages, s’il lui en offre la possibilité et si elle en éprouve le besoin ?

Il y a tout au moins une fonction littéraire, d’ordre subalterne il est vrai, mais très utile, indispensable même, que l’Esperanto peut remplir, qu’il remplit déjà supérieurement : c’est la traduction. Actuellement, lorsque paraît une œuvre littéraire susceptible d’intéresser, non seulement les lecteurs qui parlent la langue dans laquelle cette œuvre a été écrite, mais le public du monde entier, on doit la traduire en autant de langues différentes qu’il y a de pays entre lesquels se partage ce public et nécessairement toutes les traductions diffèrent plus ou moins les unes des autres et de l’original ; car chaque langue et chaque traducteur y ajoutent leurs empreintes propres. Avec l’Esperanto, une seule