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Pour chanter un Auguſte , il faut être un Virgile.
[1]Et j’aprouve les ſoins du Monarque guerrier[2]
Qui ne pouvoit ſouffrir qu’un artiſan groſſier
Entreprit de tracer d’une main criminelle,
Un portrait réſervé pour le pinceau d’Apelle.
Moi donc qui connois peu Phébus & ſes douceurs :
Qui ſuis nouveau ſévré ſur le mont des neuf Sœurs :
Attendant que pour toi l’âge ait mûri ma Muſe,
Sur de moindres ſujets je l’exerce & l’amuſe :
Et tandis que ton bras des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l’équité,
Et retient les méchans par la peur des ſuplices :
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices
Et gardant pour moi-même une juſte rigueur,
[3]Je confie au papier les ſecrets de mon cœur.
Ainſi dès qu'une fois ma verve ſe réveille,
Comme on voit au printems la diligente abeille,
Qui du butin des fleurs va compoſer ſon miel,
Des ſottiſes du tems je compoſe mon fiel.
Je vai de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,
Et ſans gêner ma plume en ce libre métier,
Je la laiſſe au hazard courir ſur le papier.
Le mal eſt, qu’en rimant, ma Muſe un peu legére
Nomme tout par ſon nom, & ne ſçauroit rien taire.

  1. C’eſt une imitation d’Horace, qui dans ſon Epitre à Auguſte qui eſt la i. du i. Liv. parle ainſi, vſ. 239.
    Edito vetuit, ne quis ſe præter Apellem
    Pingeret, aut alius Lyſippo ducere æta
    Fortis Alexandri vultum ſimulantia.
  2. Alexandre.
  3. Horace parle ainſi de Lucile Poëte Satirique, Serm. Lib. II. Sat. i. vſ. 30.
    Ille, velut ſidis arcana Sodalibus olim.
    Credebat Libris.