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Chacun voit qu’en effet la vérité les blesse :
En vain d’un lâche orgueil leur esprit revêtu
Se couvre du manteau d’une austère vertu ;
Leur cœur qui se connoit, et qui fuit la lainière,
S’il se moque de Dieu, craint Tartuffe et Molière[1].
Mais pourquoi sur ce point sans raison m’écarter ?
Grand roi, c’est mon défaut, je ne saurois flatter :
Je ne sais point au ciel placer un ridicule,
D’un nain faire un Atlas, ou d’un lâche un Hercule,
Et sans cesse en esclave à la suite des grands,
À des dieux sans vertu prodiguer mon encens.
On ne nie verra point d’une veine forcée,
Même pour te louer, déguiser ma pensée ;
Et, quelque grand que soit ton pouvoir souverain.
Si mon cœur en ces vers ne parloit par ma main.
Il n’est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui put en ta faveur m’arracher une rime.
Mais lorsque je te vois, d’une si noble ardeur,
T’appliquer sans relâche aux soins de ta grandeur.
Faire honte à ces rois que le travail étonne,
Et qui sont accablés du faix de leur couronne :
Quand je vois ta sagesse, en ses justes projets,
D’une heureuse abondance enrichir tes sujets[2],
Fouler aux pieds l’orgueil et du Tage et du Tibre[3],
Nous faire de la mer une campagne libre[4],

  1. Molière avait déjà composé le Tartuffe, et Boileau fait allusion dans ce vers, à ce chef-d’œuvre, que Molière n’avait pu encore obtenir l'autorisation de faire représenter devant le public.
  2. Pour prévenir une disette imminente, Louis XIV avait rendu un édit qui favorisait l’importation des blés étrangers.
  3. Allusion à une double réparation que Louis XIV avait exigée de deux insultes faites dans ce temps-là à ses ambassadeurs, l’une à Londres par l’ambassadeur d’Espagne, l’autre à Rome par des gardes Corses. Le Tage représente L’Espagne et Le Tibre est pris pour l’Italie.
  4. Autre allusion à la victoire du duc de Beaufort sur les pirates.