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seroit augmenter le nombre des méchans livres, qu’il blâme en tant de rencontres, et se rendre par là digne lui-même en quelque façon d’avoir place dans ses satires. C’est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps, avec une patience qui tient quelque chose de l’héroïque dans un auteur, les mauvaises copies qui ont couru de ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse. Mais enfin toute sa constance l’a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui en a paru depuis peu[1]. Sa tendresse de père s’est réveillée à l’aspect de ses enfans ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu’il les a vus accompagnés de cette prose fade et insipide, que tout le sel de ses vers ne pourroit pas relever : je veux dire de ce Jugement sur les sciences[2], qu’on a cousu si peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ses satires n’achevassent de se gâter en une si méchante compagnie ; et il a cru, enfin, que puisqu’un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l’imprimeur, il valoit mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu’on avoit déjà fait malgré lui. Joint que ce galant homme qui a pris le soin de la première édition, y a mêlé les noms de quelques personnes que l’auteur honore, et devant qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l’ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore

  1. À Rouen, en 1665.
  2. Ce Jugement sur les sciences, dont Boileau ignorait l’auteur quand il écrivit cette préface, est l’œuvre de Saint-Évremont.