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La Sibylle, à ces mots, déjà hors d’elle-même,
Fait lire sa fureur sur son visage blême ;
Et, pleine du démon qui la vient oppresser,
Par ces mots étonnans tâche à le repousser :
« Chantres, ne craignez plus une audace insensée :
Je vois, je vois au chœur la masse replacée ;
Mais il faut des combats. Tel est l’arrêt du sort ;
Et surtout évitez un dangereux accord. »
EtLà bornant son discours, encor tout écumante,
Elle souffle aux guerriers l’esprit qui la tourmente,
Et dans leurs cœurs brûlans de la soif de plaider
Verse l’amour de nuire, et la peur de céder.
VePour tracer à loisir une longue requête,
À retourner chez soi leur brigade s’apprête.
Sous leurs pas diligens le chemin disparoît,
Et le pilier, loin d’eux, déjà baisse et décroît.
EtLoin du bruit cependant les chanoines à table
Immolent trente mets à leur faim indomptable.
Leur appétit fougueux, par l’objet excité,
Parcourt tous les recoins d’un monstrueux pâté.
Par le sel irritant la soif est allumée ;
Lorsque d’un pied léger la prompte Renommée,
Semant partout l’effroi, vient au chantre éperdu
Conter l’affreux détail de l’oracle rendu.
Il se lève, enflammé de muscat et de bile,
Et prétend à son tour consulter la Sibylle.
Évrard a beau gémir du repas déserté,
Lui-même est au barreau par le nombre emporté.
Par les détours étroits d’une barrière oblique,
Ils gagnent les degrés et le perron antique,
Où sans cesse, étalant bons et méchans écrits,
Barbin vend aux passans des auteurs à tout prix[1].

  1. Barbin se piquoit de savoir vendre des livres quoique méchans. B.