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Sans doute il aura lu dans son saint Augustin[1]
Qu’autrefois saint Louis érigea ce lutrin[2].
Il va nous inonder des torrens de sa plume :
Il faut, pour lui répondre, ouvrir plus d’un volume.
Consultons sur ce point quelque auteur signalé ;
Voyons si des lutrins Bauny n’a point parlé.
Étudions enfin, il en est temps encore ;
Et, pour ce grand projet, tantôt dès que l’Aurore
Rallumera le jour dans l’onde enseveli,
Que chacun prenne en main le moelleux Abéli[3]. »
QuCe conseil imprévu de nouveau les étonne :
Surtout le gras Evrard d’épouvante en frissonne.
« Moi, dit-il, qu’à mon âge, écolier tout nouveau,
J’aille pour un lutrin me troubler le cerveau ?
Ô le plaisant conseil ! Non, non, songeons à vivre :
Va maigrir, si tu veux, et sécher sur un livre.
Pour moi, je lis la Bible autant que l’Alcoran.
Je sais ce qu’un fermier nous doit rendre par an ;
Sur quelle vigne à Reims nous avons hypothèque[4]:
Vingt muids rangés chez moi font ma bibliothèque.
En plaçant un pupitre on croit nous rabaisser ;
Mon bras seul sans latin saura le renverser.
Que m’importe qu’Arnauld me condamne ou m’approuve ?
J’abats ce qui me nuit partout où je le trouve :

  1. Arnauld, docteur de Sorbonne, avait fait une étude particulière des écrits de saint Augustin, dont il a traduit en français plusieurs traités, comme celui des Mœurs de l’Église catholique, celui de la Correction et de la Grâce, celui de la Véritable Religion, le Manuel de la Foi, etc. — Il a déjà été fait plusieurs fois mention d’Antoine Arnauld.
  2. On sait que saint Augustin est antérieur de huit siècles à saint Louis, fondateur de la Sainte-Chapelle.
  3. Voyez la note 2, p. 133.
  4. Une partie du revenu de la Sainte-Chapelle consistait en vins du territoire de Reims. Chaque chanoine en percevait un muid par an.