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Arrive dans la chambre un bâton à la main.
Ce vieillard dans le chœur a déjà vu quatre âges :
Il sait de tous les temps les différens usages :
Et son rare savoir, de simple marguillier[1],
L’éleva par degrés au rang de chevecier[2].
À l’aspect du prélat qui tombe en défaillance,
Il devine son mal, il se ride, il s’avance ;
Et d’un ton paternel réprimant ses douleurs :
« Laisse au chantre, dit-il, la tristesse et les pleurs.
Prélat, et, pour sauver tes droits et ton empire,
Ecoute seulement ce que le ciel m’inspire.
Vers cet endroit du chœur où le chantre orgueilleux
Montre, assis à ta gauche, un front si sourcilleux,
Sur ce rang d’ais serrés qui forment sa clôture
Fut jadis un lutrin d’inégale structure,
Dont les flancs élargis, de leur vaste contour
Ombrageoient pleinement tous les lieux d’alentour.
Derrière ce lutrin, ainsi qu’au fond d’un antre,
À peine sur son banc on discernoit le chantre,
Tandis qu’à l’autre banc le prélat radieux,
Découvert au grand jour attirait tous les yeux.
Mais un démon, fatal à cette ample machine,
Soit qu’une main la nuit eût hâté sa ruine,
Soit qu’ainsi de tout temps l’ordonnât le destin,
Fit tomber à nos yeux le pupitre un matin.
J’eus beau prendre le ciel et le chantre à partie,
Il fallut l’emporter dans notre sacristie,
Où depuis trente hivers, sans gloire enseveli,
Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.
Entends-moi donc, prélat. Dès que l’ombre tranquille
Viendra d’un crêpe noir envelopper la ville,

  1. C’est celui qui a soin des reliques. (B.)
  2. C’est celui qui a soin des chapes et de la cire. (B.)