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pin[1]. Pour moi, je déclare franchement que tout le poëme du Lutrin n’est qu’une pure fiction, et que tout y est inventé, jusqu’au nom même du lieu où l’action se passe. Je l’ai appelé Pourges[2], du nom d’une petite chapelle qui étoit autrefois proche de Montlhéry. C’est pourquoi le lecteur ne doit pas s’étonner que, pour y arriver de Bourgogne, la Nuit prenne le chemin de Paris et de Montlhéry.

C’est une assez bizarre occasion qui a donné lieu à ce poëme. Il n’y a pas longtemps que dans une assemblée où j’étois, la conversation tomba sur le poëme héroïque. Chacun en parla suivant ses lumières. À l’égard de moi, comme on m’en eut demandé mon avis, je soutins ce que j’ai avancé dans ma poétique : qu’un poëme héroïque pour être excellent, devoit être chargé de peu de matière, et que c’étoit à l’invention à la soutenir et à l’étendre. La chose fut fort contestée. On s’échauffa beaucoup ; mais, après bien des raisons alléguées pour et contre, il arriva ce qui arrive ordinairement en toutes ces sortes de disputes : je veux dire qu’on ne se persuada point l’un l’autre, et que chacun demeura ferme dans son opinion. La chaleur de la dispute étant passée,

  1. Turpin, Tulpin ou Tilpin, moine de Saint-Denis, puis archevêque de Reims, mourut à la fin du huitième siècle. Il n’y a nulle apparence qu’il soit l’auteur de la chronique fabuleuse qui porte son nom. Ce roman n’a été composé, selon Huet, qu’après l’an 1000 ; et ceux qui l’attribuent à un moine du Dauphiné, en retardent la composition jusqu’à 1092.
  2. Le poète, ne voulant pas nommer la Sainte-Chapelle de Paris, avait d’abord indiqué celle de Bourges ; il jugea ensuite à propos de changer Bourges en Pourges.