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Je n’entends pas ici ce doux saisissement,
Ces transports pleins de joie et de ravissement,
Qui font des bienheureux la juste récompense,
Et qu’un cœur rarement goûte ici par avance.
Dans nous l’amour de Dieu, fécond en saints désirs,
N’y produit pas toujours de sensibles plaisirs ;
Souvent le cœur qui l’a ne le sait pas lui-même ;
Tel craint de n’aimer pas, qui sincèrement aime ;
Et tel croit au contraire être brûlant d’ardeur,
Qui n’eut jamais pour Dieu que glace et que froideur.
C’est ainsi quelquefois qu’un indolent mystique[1],
Au milieu des péchés tranquille fanatique,
Du plus parfait amour pense avoir l’heureux don,
Et croit posséder Dieu, dans les bras du démon.
Voulez-vous donc savoir si la foi dans votre âme
Allume les ardeurs d’une sincère flamme ?
Consultez-vous vous-même. A ses règles soumis,
Pardonnez-vous sans peine à tous vos ennemis ?
Combattez-vous vos sens ? domptez-vous vos foiblesses ?
Dieu dans le pauvre est-il l’objet de vos largesses ?
Enfin dans tous ses points pratiquez-vous sa loi ?
Oui, dites-vous. Allez, vous l’aimez, croyez-moi.
Qui fait exactement ce que ma loi commande,
A pour moi, dit ce Dieu, l’amour que je demande.
Faites-le donc ; et, sûr qu’il nous veut sauver tous,
Ne vous alarmez point pour quelques vains dégoûts
Qu’en sa ferveur souvent la plus sainte âme éprouve ;
Marchez, courez à lui : qui le cherche le trouve ;
Et plus de votre cœur il paroît s’écarter,

  1. Quiétistes, dont les erreurs ont été condamnées par les papes Innocent XI et Innocent XII, et qui eurent pour chef le prêtre espagnol Molinos, qui publia un livre ascétique, où il enseignait des pratiques faites pour élever l’âme à un état de quiétude où elle ne faisait plus aucun usage de ses facultés.