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et souvent profondes, placent ce poëme au même rang que la fameuse Épître aux Pisons, qui est un des chefs-d’œuvre d’Horace. Le Lutrin est un badinage d’un goût très-délicat. Il fallait un art infini pour traiter un pareil sujet avec cette facilité et cette liberté d’allure, sans tomber dans le style bas et dans l’impiété.

On connaît l’incident qui donna naissance à ce poëme. Un pupitre placé et déplacé, une querelle entre le chantre et le trésorier d’une église avaient jeté la discorde dans un Chapitre de Paris ; car quoique Boileau ait transporté à Bourges ses personnages et son action, et prétendit, par d’honorables scrupules, que son poëme n’était qu’une fiction, chacun savait que le Chapitre mis en scène était celui de la Sainte-Chapelle de Paris. L’anecdote, d’ailleurs, avait fait assez de bruit, et le Président Lamoignon causant un jour avec Boileau, le défia de traiter ce sujet en vers. Boileau accepta le défi et fit le Lutrin.

Quelques critiques se sont étonnés qu’un tel maître ait traité un si pauvre sujet, et lui ont reproché d’avoir ainsi donné un mauvais exemple. On a beau leur dire que l’ouvrage est de pure plaisanterie, une réponse au défi du Président Lamoignon, ils ne veulent pas absoudre le poëte, et tout en rendant hommage aux beaux côtés du Lutrin, ils trouvent l’œuvre froide par l’idée qu’on a involontairement de la peine que Boileau a dû se donner.

La disproportion entre la richesse de l’art et la pauvreté de la matière ne saurait jamais être un dé-