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La libre vérité fut toute mon étude.
Dans ce métier funeste à qui veut s’enrichir,
Qui l’eût cru que pour moi le sort dût se fléchir ?
Mais du plus grand des rois la bonté sans limite,
Toujours prête à courir au-devant du mérite,
Crut voir dans ma franchise un mérite inconnu,
Et d’abord de ses dons enfla mon revenu.
La brigue ni l’envie à mon bonheur contraires,
Ni les cris douloureux de mes vains adversaires,
Ne purent dans leur course arrêter ses bienfaits
C’en est trop ; mon bonheur a passé mes souhaits.
Qu’à son gré désormais la fortune me joue ;
On me verra dormir au branle de sa roue.
OnSi quelque soin encore agite mon repos,
C’est l’ardeur de louer un si fameux héros.
Ce soin ambitieux me tirant par l’oreille,
La nuit, lorsque je dors, en sursaut me réveille ;
Me dit que ses bienfaits, dont j’ose me vanter,
Par des vers immortels ont dû se mériter.
C’est là le seul chagrin qui trouble encor mon âme.
Mais si, dans le beau feu du zèle qui m’enflamme,
Par un ouvrage enfin des critiques vainqueur
Je puis sur ce sujet satisfaire mon cœur,
Guilleragues, plains-toi de mon humeur légère,
Si jamais, entraîné d’une ardeur étrangère,
Ou d’un vil intérêt reconnoissant la loi,
Je cherche mon bonheur autre part que chez moi.