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Mais déjà devant eux une chaleur guerrière
Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière[1],
Vivonne, Nantouillet, et Coislin, et Salart[2] ;
Chacun d’eux au péril veut la première part :
Vendôme[3], que soutient l’orgueil de sa naissance,
Au même instant dans l’onde impatient s’élance :
La Salle, Béringhen, Nogent, d’Ambre, Cavois[4],
Fendent les flots tremblans sous un si noble poids.
Louis, les animant du feu de son courage,
Se plaint de sa grandeur qui l’attache au rivage.
Par ses soins cependant trente légers vaisseaux
D’un tranchant aviron déjà coupent les eaux[5] :
Cent guerriers s’y jetant signalent leur audace.
Le Rhin les voit d’un œil qui porte la menace ;
Il s’avance en courroux. Le plomb vole à l’instant.
Et pleut de toutes parts sur l’escadron flottant.
Du salpêtre en fureur l’air s’échauffe et s’allume,
Et des coups redoublés tout le rivage fume.
Déjà du plomb mortel plus d’un brave est atteint :
Sous les fougueux coursiers l’onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse !

  1. M. de Créqui, duc de Lesdiguières et comte de Saulx, était gouverneur du Dauphiné. Il reçut au passage du fleuve une blessure, ce qui ne l’empêcha pas d’arriver le premier sur la rive opposée.
  2. Vivonne, duc de Mortemart, était le frère de Mme de Montespan, et était ami de Boileau ainsi que le chevalier de Nantouillet. Le duc de Coislin fut blessé dans cette affaire. Salart était un simple capitaine au régiment des gardes françaises.
  3. Le chevalier de Vendôme, depuis grand prieur de France, n’avait pas encore 17 ans en 1672.
  4. Les marquis de la Salle et de Béringhen furent blessés au passage du Rhin ; le comte de Nogent y fut tué. Cavois, qui fut nommé depuis grand maréchal des logis de la maison du roi, était un ami de Boileau.
  5. C’étaient des bateaux de cuivre.