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ÉPITRE I.

On peut être héros sans ravager la terre.
Il est plus d’une gloire. En vain aux conquérans
L’erreur, parmi les rois, donne les premiers rangs ;
Entre les grands héros ce sont les plus vulgaires.
Chaque siècle est fécond en heureux téméraires ;
Chaque climat produit des favoris de Mars ;
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars :
On a vu mille fois des fanges Méotides
Sortir des conquérans goths, vandales, gépides.
Mais un roi vraiment roi, qui, sage en ses projets,
Sache en un calme heureux maintenir ses sujets ;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire,
Il faut pour le trouver courir toute l’histoire.
La terre compte peu de ces rois bienfaisans ;
Le ciel à les former se prépare longtemps.
Tel fut cet empereur sous qui Rome adorée
Vit renaître les jours de Saturne et de Rhée ;
Qui rendit de son joug l’univers amoureux ;
Qu’on n’alla jamais voir sans revenir heureux ;
Qui soupiroit le soir, si sa main fortunée
N'avoit par ses bienfaits signalé la journée[1].
Le cours ne fut pas long d’un empire si doux.
LeMais où cherché-je ailleurs ce qu’on trouve chez nous ?
Grand roi, sans recourir aux histoires antiques,
Ne t’avons-nous pas vu dans les plaines belgiques,
Quand l’ennemi vaincu, désertant ses remparts,
Au-devant de ton joug couroit de toutes parts,
Toi-même te borner, au fort de ta victoire,
Et chercher dans la paix[2] une plus juste gloire ?
Ce sont là les exploits que tu dois avouer ;
Et c’est par là, grand roi, que je te veux louer.

  1. Allusion au fameux mot de Titus : Diem perdidi.
  2. La paix d’Aix-la-Chapelle, en 1608.