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Enfin, pour abréger un si plaisant prodige,
Notre assassin renonce à son art inhumain ;
Et désormais, la règle et l’équerre à la main,
Laissant de Galien[1] la science suspecte,
De méchant médecin devient bon architecte.
DeSon exemple est pour nous un précepte excellent.
Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu’écrivain du commun, et poëte vulgaire.
Il est dans tout autre art des degrés différens,
On peut avec honneur remplir les seconds rangs ;
Mais dans l’art dangereux de rimer et d’écrire,
II n’est point de degrés du médiocre au pire ;
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur.
Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur ;
On ne lit guère plus Rampale et Ménardière ,
Que Magnon, du Souhait, Corbin et La Morlière.
Un fou du moins fait rire, et peut nous égayer ,
Mais un froid écrivain ne sait rien qu’ennuyer.
J’aime mieux Bergerac[2] et sa burlesque audace
Que ces vers où Motin se morfond et nous glace.
QuNe vous enivrez point des éloges flatteurs,
Qu’un amas quelquefois de vains admirateurs
Vous donne en ces réduits, prompts à crier merveille !
Tel écrit récité se soutint à l’oreille,

  1. Galien, écrivain et praticien habile, fut le médecin de l’empereur Marc Aurèle, au deuxième siècle de l’ère chrétienne.
  2. Tous les auteurs que cite Boileau nous sont aujourd’hui complètement inconnus. Seul Cyrano de Bergerac est sorti de l’oubli ; il a publié le Pédant joué, pièce qu’il composa à dix-sept ans, lorsqu’il était encore au collège, pour se venger de ses professeurs, et dans laquelle se remarquent quelques scènes qui fournissent des traits et des caractères d’un bon comique. Il était brave et volontiers querelleur. Aussi les anecdotes abondent-elles sur son compte.