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N’imitez pas ce fou[1] qui, décrivant les mers,
Et peignant, au milieu de leurs flots entr’ouverts,
L’Hébreu sauvé du joug de ses injustes maîtres,
Met, pour le voir passer, les poissons aux fenêtres ;
Peint le petit enfant qui va, saute, revient,
Et joyeux à sa mère offre un caillou qu’il tient.
Sur de trop vains objets c’est arrêter la vue.
SuDonnez à votre ouvrage une juste étendue.
Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté.
N’allez pas dès l’abord, sur Pégase monté,
Crier à vos lecteurs, d’une voix de tonnerre :
« Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre[2]. »
Que produira l’auteur après tous ces grands cris ?
La montagne en travail enfante une souris.
Oh ! que j’aime bien mieux cet auteur plein d’adresse
Qui, sans faire d’abord de si haute promesse,
Me dit d’un ton aisé, doux, simple, harmonieux
« Je chante les combats et cet homme pieux
« Qui, des bords phrygiens conduit dans l’Auson
« Le premier aborda les champs de Lavinie ! »
Sa muse en arrivant ne met pas tout en feu,
Et, pour donner beaucoup, ne nous promet que peu
Bientôt vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du destin des Latins prononcer les oracles,
De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrens,
Et déjà les Césars dans l’Elysée errans.
EtDe figures sans nombre égayez votre ouvrage ;

  1. Ce fou est Saint-Amand, l’auteur du Moïse sauvé, et Boileau ici FAIT allusion à ces deux vers du poëme :
    Et là près des remparts que l’œil peut transpercer
    Les poissons ébahis les regardent passer.
  2. Ce vers est le début du poëme d'Alaric, de Scudéri.