Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose :
Les yeux en le voyant saisiroient mieux la chose ;
Mais il est des objets que l’art judicieux
Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux.
Que le trouble, toujours croissant de scène en scène,
A son comble arrivé se débrouille sans peine.
L’esprit ne se sent point plus vivement frappé
Que lorsqu’en un sujet d’intrigue enveloppé
D’un secret tout à coup la vérité connue
Change tout, donne à tout une face imprévue.
La tragédie, informe et grossière en naissant,
N’étoit qu’un simple chœur, où chacun en dansant,
Et du dieu des raisins entonnant les louanges,
S’efforçoit d’attirer de fertiles vendanges.
Là, le vin et la joie éveillant les esprits,
Du plus habile chantre un bouc étoit le prix.
Thespis fut le premier qui, barbouillé de lie,
Promena par les bourgs[1] cette heureuse folie ;
Et, d’acteurs mal ornés chargeant un tombereau,
Amusa les passans d’un spectacle nouveau.
Eschyle[2] dans le chœur jeta les personnages,
D’un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais d’un théâtre en public exhaussé
Fit paroître l’acteur d’un brodequin chaussé.
Sophocle[3] enfin, donnant l’essor à son génie,
Accrut encor la pompe, augmenta l’harmonie,
Intéressa le chœur dans toute l’action,
Des vers trop raboteux polit l’expression,
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine
Où jamais n’atteignit la foiblesse latine.
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