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CHANT III[1].


QuIl n’est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux :
D’un pinceau délicat l’artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.
Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs
D’Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs,
D’Oreste parricide exprima les alarmes,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes[2].
EtVous donc qui, d’un beau feu pour le théâtre épris,
Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ?
Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue.
Si d’un beau mouvement l’agréable fureur
Souvent ne nous remplit d’une douce terreur,

  1. Ce chant traite de la tragédie, de l’épopée et de la comédie . c’est le plus étendu et le plus important du poëme.
  2. Sophocle dans ses tragédies d’Œdipe-roi et d’Oreste, a su rendre ses héros intéressants, quoiqu’il nous représente OEdipe venant de se crever les yeux et Oreste venant d’égorger sa mère Clytemnestre.