Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
EtSurtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux :
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin,
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
EsTravaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse.
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse[1] :
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit, que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
AjC’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent.
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin répondent au milieu ;
Que d’un art délicat les pièces assorties
N’y forment qu’un seul tout de diverses parties,
Que jamais du sujet le discours s’écartant
N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.

  1. Scudéri disoit toujours pour s’excuser de travailler si vite, qu’il avoit ordre de finir. (B.)